► Interzones: Bonjour Aboli! Des formes géométriques structurent vos œuvres et leur donnent parfois l’apparence de mosaïque. Quelle est leur signification ?
► Aboli Kann: Bonjour à vous et à votre public! Et merci de me donner l’occasion de m’exprimer sur les convictions qui motivent ma peinture. En fait, il s’agit d’un moyen d’équilibre dans un monde qui apparaît lui-même comme une mosaïque. Nous vivons dans un monde beaucoup plus complexe qu’il nous semble. Il nous appartient donc d’user de l’équerre de la tempérance pour mieux appréhender en nous et dans les autres la vérité et la beauté de l’être. Mon œuvre se voue à représenter un peu cela.
► Interzones: La Femme est omniprésente dans vos œuvres. Diriez-vous qu’Elle vous hante? Que votre œuvre tout entière Lui est consacrée?
► Aboli Kann: Mon discours veut commencer par Elle. Par devoir de gratitude. S’il est vrai que l’Art est une quête perpétuelle de soi dans un but évolutif, la Femme représente un élément essentiel de recherche. Parce qu’Elle a forcément été là aux premiers instants de notre existence. Alors, oui, la Femme me hante. Pour
ceux qui lisent les écritures, il y est dit que la Femme a été créée pendant le sommeil de l’Homme. Ainsi une femme a toujours un secret à révéler.
► Interzones: Votre style, souvent, est défini comme appartenant au Pop Art. Vous sentez-vous des affinités avec un Andy Warhol ou un Roy Lichtenstein?
► Aboli Kann : Tout en gardant les atouts du Pop Art, mon style évolue dans la figuration libre. En parcourant (avec beaucoup de respect) les œuvres de ses deux grandes figures, je découvre qu’on est tous habités par l’esprit de l’affiche ou de la B.D, mais je veux y apporter des éléments typiques à mon environnement culturel.
► Interzones: Peintre, mais aussi comédien, vous avez étudié la griotique de l’intellectuel ivoirien Niangoran Porquet. Qu’est-ce que la griotique? S’agit-il seulement d’une esthétique théâtrale, comme l’ont suggéré certains, ou bien défend-elle des valeurs liées à l’ivoirité? Et, dans ce cas, a-t-elle (ou a-t-elle eu) une influence sur votre œuvre?
► Interzones: Permettez-moi de faire une révérence à ce grand maître, dont je conserve précieusement la mémoire. Je donnerai un avis modeste. Celui de l’élève qui n’a pas encore fini d’apprendre. Mais ma compréhension de la griotique est qu’il s’agit assurément d’une esthétique théâtrale, mais plus loin d’une démarche rhétorique, historique et même didactique. L’Afrique n’a pas cultivé l’écriture, mais elle doit le salut de sa mémoire à la science et aux talents des griots. Et c’est vers cette science que Maître Niangoran Porquet a orienté sa recherche. L’ivoirité est un concept trop étroit et assez mal défini pour contenir la griotique, qui se fonde dans une dimension beaucoup plus
vaste d’africanisme. Pour ma part, même si cela n’apparaît pas dans mon graphisme, je me sens toujours marqué spirituellement par ce qu’il m’a enseigné.
► Interzones: Votre obsession de la Femme africaine, telle qu’Elle apparaît dans vos œuvres, exprime-t-elle, au delà du simple hommage, un message plus profond? Et, si c’est le cas, quel est ce message?
► Aboli Kann: C’est un message à l’intention de tous ceux qui briment la Femme, mais aussi et surtout à l’endroit de la Femme elle-même . Afin qu’Elle prenne conscience de son rôle à jouer dans l’édifice humain. C’est pourquoi je dis : «…cette Afrique qu’on porte ensemble et qu’on aimerait voir grandir avec nous».
► Interzones: «La Femme est l’avenir de l’homme», a écrit Louis Aragon. En Afrique aussi? Que diriez-vous à cette Femme sublimée?
► Aboli Kann: La justesse de cette assertion est paradoxalement très palpable en Afrique. Même si elle est peu présente dans les cercles de décision, elle est un véritable pilier socio-économique. Et si l’Afrique rêve à un développement, alors l’on doit donner à la Femme plus d’espace dans les instances de décision. On dit que la nuit porte conseil, parce que, la nuit, il y a la Femme.
► Interzones: Vous avez étudié l’Art Naïf à l’atelier de Camille Kouakou, puis la peinture moderne sous la férule de Christian Débenest. Ils ont été, j’imagine, vos Maîtres en peinture parmi les plus importants?
► Aboli Kann: Oui ! A l’atelier de Camille Kouakou, j’ai appris à m’exprimer avec spontanéité . En rendant simplement le sentiment de beauté. Avec M. Debenest, j’ai abordé mes sujets avec un peu plus d’audace et de défi.
► Interzones: Vous avez écrit cette phrase, qui m’a frappé : «Les formes géométriques m’ont hanté. Je les garde comme équation pour rationaliser mon espace touffu...». Cette hantise explique-t-elle la structure en mosaïque de vos œuvres?
► Aboli Kann: Effectivement, comme je l’ai mentionné plus haut, les formes géométriques sont à mon œuvre ce que le compas est au navigateur. Elles servent à modérer l’espace. Le résultat est l’expression de la vie elle-même: une mosaïque.
► Interzones: Quels sont vos projets pour le futur? Viendrez-vous exposer en France?
► Aboli Kann: En ce moment, je suis en plein chantier. Je prépare une exposition à Abidjan, dont la date et le lieu restent à préciser. Ma galerie, Houkami Guyzagn, y travaille activement. Cela se fera, «inch Allah», avant la fin de l’année. Par ailleurs, je prépare un voyage d’étude au Bénin. Bien sûr, la France est dans mon objectif, et j’ai des invitations. Mais, pour l’instant, je prends le temps de faire les choses.
► Interzones: Y a-t-il une question particulière que je ne vous ai pas posée, et à laquelle, pourtant, vous auriez aimé répondre?
► Aboli Kann: Il y a mille questions que vous ne m’avez pas posées. Mais je ne les sais pas, malheureusement. A travers vos questions, je me réponds un peu à moi-même.
► Interzones: Quel sera votre mot de la fin?
► Aboli Kann: Merci beaucoup pour tout!!! Ce site est une merveille! C’est un rayon de soleil pour la création!
► Interzones: Merci à vous, Aboli, et merci de nous avoir accordé cette interview.
– The End –