► Martin Edenik: Bonjour, Anak ! La musique paraît très importante dans votre «modus operandi». Du moins, lors de vos performances publiques. L’est-elle autant quand vous travaillez dans votre atelier?
► Anaka: Oui. La musique est indispensable à mon activité plastique. Elle rythme mes gestes, et crée pour moi un dialogue entre la forme, la couleur, et le fond, les mots…
► Martin Edenik: André Breton a écrit, à propos de l’écriture et de la musique, «qu’elles ne pouvaient fusionner qu’à très haute température émotionnelle». Est-ce votre avis? Et, si oui, la musique est-elle pour vous un moyen de «monter en température»?
► Anaka: Je vis, je respire, je me consume et me régénère au rythme de l’émotion. La musique est indissociable de mon écriture, donc oui, je partage l’avis du pape du Surréalisme, car la vie ne peut être pour moi, que sur-réelle… Je ne sais pas vivre autrement que dans un rapport émotionnel aux êtres, aux choses, au monde, et j’apprends en même temps à ne pas brûler dans l’ardeur, à canaliser cette hyper émotionnalité dans la couleur, dans le partage des couleurs, dans la création. Cette matière première de combustion est pour moi inépuisable… Il y a pour moi une sorte de fièvre froide, c’est un oxymore, mais à l’image du paradoxe existentiel…
► Martin Edenik: Les poèmes que vous écrivez sur vos «plexis», sont-ils toujours des improvisations, des mots qui surgissent «comme ça», dans l’action? Ou bien vous arrive-t-il de les préparer à l’avance?
► Anaka: Ils sont à la fois improvisés et préparés… Il me semble qu’ils sont en gestation, et puis un mot, une image, un son, les fait jaillir en un
jet, je les écris d’une traite comme s’ils se déroulaient de leur cocon de chrysalide. Quand je prépare une performance, je les écris à l’avance, parce que je souhaite me concentrer pendant l’action sur la rencontre des couleurs et de la musique… Donc, c’est en même temps improvisé et extrêmement anticipé…
► Martin Edenik: Vous exposez énormément, et dans le monde entier. Comment faites-vous, lors de longs séjours à l’étranger, quand une fringale de création vous saisit? Vous emmenez ce qu’il faut avec vous?
► Anaka: Je me débrouille pour trouver des galeries sur place (sourire) ou pour proposer des ateliers aux locaux, comme cela s’est produit à Pondichéry, où j’ai une galerie depuis trois ans. Je viens avec des «plexis» nus, que je peins et laisse sur place. Je retrouve mon petit pécule de roupies l’année suivante. Mes créations sont évidemment vendues à très bas prix, mais quel plaisir de savoir que mes traces plaisent au Pays des
couleurs!!! J’ai également animé des ateliers de peinture sur «plexi» l’année dernière, à Pondichéry, avec L’Alliance Française, et je repars dans quelques jours pour une tournée dans six villes d’Inde du Sud, où je propose des performances et chante mes textes sur les compositions du musicien Jacky Mouvillat, suivies d’ateliers de peinture à rebours.
► Martin Edenik: Les couleurs de votre univers pictural génèrent un plaisir esthétique mais, aussi, de la joie. Diriez-vous que vous êtes une personne joyeuse?
► Anaka: Oui! Une joie que j’adjectiverais, à l’instar du philosophe André Comte Sponville, «désespérée», c’est-à-dire une joie qui se nourrit sur ce qui est à chaque instant, et non sur ce qui pourrait être ou sur ce qu’on pourrait «espérer». J’essaie d’être une «joyeuse de l’instant»… Je me sers de mon expression plastique pour transmuter mes douleurs et
cicatrices en plaisir de la trace, j’efface mes angoisses et mes tristesses existentielles derrière des regards tendres et compatissants, je réponds à mes interrogations en proposant un voyage pictural, un voyage en quête de la Joie.
► Martin Edenik: Vous donnez des cours dans le cadre d’ateliers. Limitez-vous le nombre de vos élèves? Et est-il facile pour quelqu’un désireux de devenir votre élève de vous contacter?
► Anaka: Très facile. Il suffit de venir! Je limite à huit personnes, l’hiver, pour des raisons de place mais, l’été, nous travaillons dehors en musique et dans la nature, donc, plus de places en fonction des demandes.
Je propose des ateliers d’initiation à la peinture à rebours sur plexiglas, c’est une technique merveilleuse pour laisser aller l’imagination et oublier ses complexes de «je ne sais pas». Ici, inutile de savoir, il suffit d’être…
Les ateliers sont toujours en ligne dans mon site, résumés des précédents en photos, et dates des suivants. J’envisage, cet été, de proposer des sessions hebdomadaires. Une fois par semaine, j’ouvrirai mon atelier, et les personnes désireuses de créer dans mon espace pourront venir passer l’après-midi à créer, expérimenter l’écriture miroir sur plexiglas, peindre au vernis à ongles et autres matières…
► Martin Edenik: Comment vous est venue cette capacité un peu miraculeuse d’écrire des deux mains simultanément, et à rebours?
► Anaka: Je suis ambidextre, ce qui signifie que je me sers de mes deux mains
indifféremment. Probablement une particularité des jonctions entre les deux hémisphères du cerveau. Beaucoup d’enfants, commencent à écrire à l’envers, et on les catalogue dyslexiques… J’ai toujours écrit. Quand j’avais une dizaine d’années, pour protéger mes secrets, j’avais pris cette habitude étrange d’écrire à l’envers dans mes cahiers, car il était alors difficile pour l’intrus(e) de déchiffrer mes écrits. Plus tard, en testant des feutres sur un bout de plexiglas, j’ai réalisé cette magie, que ce que j’écrivais à l’envers d’un côté se lisait à l’endroit de l’autre. Ma technique est née de cette découverte inopinée…
► Martin Edenik: Quels sont les artistes qui vous ont le plus influencée?
► Anaka: Niki de Saint Phalle a été mon sujet de mémoire de maîtrise d’art thérapie. Elle m’a fait comprendre toute la dimension émotionnelle de la création picturale… Je suis absolument fan de Marc Rothko, je ressens son travail d’une manière intense, comme si ses couleurs me parlaient très distinctement.
J’aime les mots de Ben, même si je trouve limité le recours systématique, j’ai toujours envie de sortir des lignes et des cadres dès que je sens que je commence à les maîtriser. J’aime l’extraordinaire boulimie artistique de Picasso, les bleus de Chagall, les ors de
Klimt, les angles aigus de Shiele, les structures de Klee, les tubes d’Arman, la poésie urbaine de Basquiat, la lumière de Soulages…
Ce que j’aime par-dessus tout, c’est la créativité et le mélange des influences, qui dessinent mon paysage artistique par intégration-digestion. J’adore voir le travail d’autres artistes, je me nourris d’atomes de créations qui fusionnent en moi.
► Martin Edenik: Vous partez bientôt en Inde, pour une grande expo qui va vous tenir éloignée quelque temps de la France. Quels sont vos projets à votre retour?
► Anaka: Aahhh ! Mon projet merveilleux de cette année, c’est de trouver MA caravane pour intégrer le collectif des ‘‘Pas sages’’, un collectif d’artistes singuliers qui se déplacent de festival en festival avec leur caravane customisée. Je voudrais peindre une jungle, de laquelle jailliront des papillons de «plexi» et autres… J’ai aussi accepté de rejoindre le ‘‘Rendez-vous des Singuliers’’, à Saint-Félix, près de Toulouse, en juin, et en août le Festival d’Art Singulier de Dives-sur-Mer, où je retrouve des amis artistes chers à mon inspiration. J’ai également une exposition prévue à Chamonix, à l’Hôtel Alpina, en juillet, pendant le Festival d’André-Manoukian, l’extraordinaire Cosmojazz. Inutile de vous préciser mon sujet d’inspiration…
► Martin Edenik: Quel sera votre mot de la fin?
► Anaka: Ma phrase fétiche : «Il est un long voyage pour arriver au voyageur». La création est mon voyage.
– The End –