BAMS
l’âme des poètes
Une voix, une conscience, un témoin lucide d’une époque incertaine qui a choisi de rester cool, malgré tout. Avec elle, pas de pesante leçon de bien-pensance, pas de rage vomie à la manière de certains rappeurs. Rappeuse, elle l’est pourtant. Mais pas seulement. Tenter de la définir, de chercher à l’enfermer dans un style musical serait dérisoire tant la belle Franco-Camerounaise évolue au fil de ses albums. Elle-même, d’ailleurs, a défini sa musique «comme un mélange de Jacques Brel et de Wu Tang Clan»: le spectre est large!
Écouter Bams, c’est écouter de la bonne et originale musique mais, aussi, réfléchir à l’injustice du monde, au sort fait aux faibles, aux immigrés qu’on parque dans des enfers de béton, au racisme, à la souffrance des femmes... Nul misérabilisme dans ses chansons: Bams dénonce de la plus efficace des manières, elle nous touche en plein cœur avec des mots si justes qu’on ne peut les ignorer. Ses textes sont des poèmes qu’elle scande, déclame en parfaite fusion avec sa musique.
► Martin Edenik: Bonjour, Bams! Avant d’être la Révélation du Printemps de Bourges, en 1999, vous avez étudié les mathématiques et avez été une sportive de haut niveau. Championne de France et du Cameroun de
triple-saut, il semble que vous ayez été sur le point d’être sélectionnée pour les Jeux Olympiques d’Atlanta, en 1996. Vous avez préféré la Musique. Ce fut un choix difficile?
► Bams: La vie a ses vents qu’heureusement on ne maîtrise pas toujours. Grandir, c'est aussi oser ouvrir les nouvelles portes. J’ai toujours été une aventurière, c’est la surprise qui m’anime. La routine m’ennuie.
► Martin Edenik: Née à Paris, élevée dans les Yvelines, où «vous avez construit [dans certaine forêt] des cabanes et avez cueilli des fruits dans les vergers», vous avez choisi un pseudonyme qui est un hommage à l’ethnie Bamileke, qui représente vos origines. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre enfance, qui
semble avoir été heureuse, et sur le choix de votre nom d’artiste?
► Bams: Oui, une enfance dans les bois ☺... Du vert, de la hauteur et de l’espace pour pouvoir ouvrir les bras. Sinon, une enfance j’pense assez commune d’enfants d’exilés camerounais, faite de montagnes russes oscillant entre la joie, les drames, l’ivresse de la perspective et la frustration. Socialement, humainement,
politiquement, économiquement, culturellement ça reste problématique d’être noir en France. Il en va malheureusement de même pour tous les «autres», les non-blancs en France. Mais d’où je viens, l’Amour a toujours su nous ressusciter.
J’étais déjà jeune adulte quand j’ai choisi la voie de la musique et que j’ai pu me rebaptiser ‘‘Bams’’. Oui, c’était déjà important pour moi que mon nom d’artiste véhicule qui je suis et d’où je viens. ‘‘Bams’’ me donne l’occasion de parler de cette Afrique si chère à mon cœur, fondatrice de mon identité et aspiration assumée.
► Martin Edenik: Du rap à l’électro en passant par l’afro-beat, l’afro-punk et le hip-hop (j’en oublie sûrement), votre style musical est un défi à tous ceux qui aiment tant étiqueter les artistes. Pour vous qui refusez de vous laisser «engluer dans des codes qui ne sont pas pour vous», ce genre d’étiquetage doit vous sembler un peu artificiel? Si vous deviez absolument vous définir musicalement, comment présenteriez-vous votre musique? Plutôt hip-hop?
► Bams: Vivante, actuelle, plurielle. Poétique, Rock, libre comme le Jazz et insolente comme le Punk. Le Hip Hop, c’est le battement, la pulsation qui jaillit du sol. Ma musique... j’dirai Afro Rock.
► Martin Edenik: L’auteure Virginie Despentes vous a consacré un très beau texte, qu’on peut lire ici. Vous en avez fait votre bio officielle. Ça s’est vraiment décidé dans sa cuisine?
► Bams: Non, dans ma cuisine ☺. On discutait des méandres de l'industrie culturelle, des compromissions qui amènent plus de visibilité. J’réfléchissais à voix haute sur les chemins éventuels que j’aurai pu prendre, trouver comment m’y résoudre. Jouer un autre jeu que le mien, je n’y arrive pas, j’ai essayé mais suis bien trop lisible. ça l’a fait rire et, du tac au tac, elle m’a dit «Sait-on jamais, si ça peut t’apporter de la visibilité, j’te fais ta bio».
La Classe... Despentes, l’une de mes plumes préférées, me faire ce cadeau... J’ai pris ça comme une bénédiction, un signe que les anges de la musique sont bien là près de moi.
► Martin Edenik: Vous avez tourné en 2015 dans un moyen-métrage (‘‘Veuves noires’’) et, aussi, dans une série TV. Le cinéma vous intéresse? Pourrait-on vous voir, un de ces jours, dans un long-métrage?
► Bams: ‘‘Veuves noires’’, un projet de série qui, malheureusement, n’a pas encore abouti. J’aimerai tellement... Ce serait en plus ma vraie première grande expérience. Oui, aujourd’hui, j’ai envie d’image, de jouer, de découvrir autre chose de moi. Ma motivation est plus politique qu’artistique mais, oui, aujourd’hui le Cinéma m’attire. On est dans une société d’images et si je pouvais contribuer à amener plus de Noir à l’image, plus de pluralité dans les profils portés aux yeux du monde. Ouais, cette idée me plaît.
► Martin Edenik: Donnerez-vous des concerts en 2016? Et, si oui, dans quelles
villes? Et quid de votre prochain album?
► Bams: Des concerts... Ha! C’est le mot qui me grise le cœur en ce moment. J’ai toujours vécu de ma musique notamment grâce à mon activité scénique, en plus je suis une vraie artiste de scène. Pour moi, la musique aura toujours plus de vibrant en live que sur disc, c’est là que j’aime la vivre. Jusqu’à présent, même en tant qu’artiste 100% indépendante, ça l’a toujours fait mais là... La crise ne facilitant rien, ma musique singulière, plus, je crois, mes engagements politiques notamment dans la lutte contre la
pièce ‘‘Exhibit B’’ (1), compromettent pas mal ma situation précaire d’artiste indépendant. Lutter contre ‘‘Exhibit B’’, ça a été avoir en face la Ministre de la Culture, la Maire de Paris... L’État quoi avec, bien sûr, toutes les institutions culturelles derrière. Dans un pays où la Culture est subventionnée, s’mettre à dos l’Etat, ça complique un peu beaucoup la suite. Alors non, j’ai sorti mon quatrième album ‘‘Dérèglement Climatique’’ y’a deux ans et demi maintenant, à mes yeux mon plus bel album, et n’ai trouvé que trois concerts. J’crois qu’ils doivent être très peu nombreux les artistes à n’avoir pas à un moment ou à un autre manger le caillou, alors, je prends mon mal en patience... Le Soleil
revient toujours surtout quand on est l’enfant de l’Univers ☺...
► Martin Edenik: Vous avez collaboré avec des artistes du monde entier : RZA (du Wu Tang Clan), Casey, Les Nubians
et Nina Morato… Vous avez aimé? Y en a-t-il, parmi eux, qui vous ont particulièrement intéressée?
► Bams: Tous les artistes avec lesquels j’ai eu la chance de collaborer ont été une bénédiction. Quand on aime quelqu’un, qu’on veut taffer avec lui/elle, qu’il/qu’elle accepte, la seule chose à dire c’est merci. Merci la Vie de me donner les signes, que cette vie est faite pour
moi, que je suis sur ma voie et que mes pères et mères me reconnaissent. Autant les gens de l’industrie du disc et de la culture et moi, ça fait deux, autant avec les artistes, pour l’instant, ça a toujours été ‘‘tapis rouge’’. Les seuls dont je garde regret, sont Brigitte Fontaine et Areski Belkacem,
avec qui j’aurai dû faire mon troisième album et puis, et puis... La vie, le temps, leurs agendas, ça ne s’est finalement jamais fait. Après, y’a encore plein d’artistes avec lesquels j’aimerais collaborer: Meshell Ndegeocello, Artic Monkeys, The Kills... J’aurais kiffé faire un morceau avec eux, mais ils s’sont séparés. Y’a la scène nigériane aussi... J’aimerais bien savoir ce que je donnerais en mode Naija. Naija Bams...
ça m’intrigue, pas vous? Tout ça, c'est la vie, des rencontres alors tout est à venir ☺.
► Martin Edenik: Que pensez-vous de la manière dont l’Europe traite les réfugiés? Si vous en aviez la possibilité, que diriez-vous à François Hollande sur ce drame qui se joue?
► Bams: Question qui fâche, je ne sais même pas si j’ai envie de répondre. Quel pouvoir, nous peuples du Nord avons-nous! On a soi-disant la démocratie, le vote sans fraude, la liberté de la Presse, les Droits de l’Homme. Mouais... Depuis qu’il y a eu le referendum pour ratifier la Constitution européenne, qu’on a dit NON, que nos politiques ont dit OUI et qu’il n’y a pas eu de Révolution derrière. Aujourd’hui, je ne vois plus que la lâcheté des peuples du Nord, enlisés dans un pseudo confort qu’aujourd’hui quelques morts viennent doucement titiller le cerveau. J’en ai marre du traitement moral de tout. L’émotionnel pour leurrer notre ‘‘déshumanité’’. Osons rester factuel. Qui crève en masse? Qui fomente les guerres? Qui fabrique les armes? Qui possède le capital? Où sont les ressources et qui les contrôle? Parlons peu, parlons bien... Le reste, c’est pisser dans un violon. Le jour où les nations et peuples du Nord se regarderont en face et arrêteront de ne ‘‘barbariser’’ que l’autre, un grand pas sera fait et plus qu’un ‘‘Vivre ensemble’’ un ‘‘Faire ensemble’’ sera alors enfin possible. Mais, pour l’instant, y’a toute une partie du Monde qui, juste, ne sait même pas qui elle est, qui parle au nom de tous et prétend imposer sa moralité à deux balles au reste du monde. Heureusement migrants ou pas migrants, ce monde
s’écroule et le Sud, les BRICS émergent.
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(2) BRICS est un acronyme anglais pour désigner un groupe de cinq pays qui se réunissent en sommets annuels: Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.