Quand il obtient, en 1996, le Premier prix (1) du Conservatoire National Supérieur de Paris, Claude-Samuel Levine n’a que vingt-neuf ans. Il vient de mettre au point «un système virtuel innovant recréant fidèlement les sonorités d’origine des diffuseurs de Martenot» (Wikipedia). Devenu l’un des meilleurs spécialistes du thérémin, ce musicien surdoué, qui se présente avec modestie comme un concertiste en soliste, a joué avec les orchestres du monde entier (2).
Et, aussi, avec Radiohead et Yann Tiersen, et s’investit parfois avec des groupes moins connus – mais qui l’intéressent – comme le groupe conceptuel Rocky Controlo. Mais la musique n’est pas son unique centre d’intérêt: il réalise des vidéos dans lesquelles il intègre des compositions personnelles qu’on peut écouter dans divers sites comme Youtube, Dailymotion et, bien sûr, dans son propre site (3).
► Martin Edenik: Bonjour, Claude-Samuel! Vous êtes considéré comme le grand spécialiste français du thérémin. Qu’est-ce que le thérémin?
►Claude-Samuel Levine: C’est un drôle de boîtier muni d’antennes, qui permet de jouer de la musique… Non pas sans les mains, faut pas pousser, mais sans toucher (ou presque) à l’instrument. Plus que des mots, je pense que les présentations vidéos risquent d’être plus parlantes. Je sais pas pourquoi…
► Martin Edenik: Dans quelles circonstances avez-vous découvert cet instrument, et qu’est-ce qui vous a incité à l’étudier?
►Claude-Samuel Levine: J’avais aperçu un thérémin lors d’un salon de la musique à Paris. Ce qui m’a beaucoup plu, dans le thérémin, est son mode de jeu cousin des Ondes Martenot qui, à l’époque, n’étaient plus fabriquées. J’ai donc pu commencer à faire des petites représentations de façon plus autonome qu’en allant demander, avec hésitations, à un ou une collègue de prêter son propre instrument de concert… pour aller jouer en orchestre! Cette sympathique solidarité entre ondistes s’est pourtant pratiquée durant des années, car c’était la seule solution. Bien heureusement, en 2004, est arrivée l’ondéa. A noter que, suite à beaucoup d’aléas, c’est mon propre père qui, actuellement, travaille à la réalisation d’instruments encore plus aboutis. Grosse joie dans la maison!
► Martin Edenik: Combien de temps vous a-t-il fallu pour inventer votre «système virtuel destiné à restituer les sonorités d’origine des diffuseurs de Martenot»? Qu’apporte votre invention par rapport aux anciens instruments?
►Claude-Samuel Levine: Les «diffuseurs» de Martenot sont des sortes de «haut-parleurs» spéciaux, munis de membrane métallique, de ressorts ou de cordes, qui contribuent aux colorations irréelles des sonorités dans l’onde Martenot. Sauf qu’ils ne sont plus fabriqués. De nombreux jeunes ondistes sont donc contraints d’utiliser des «reverbs» électroniques, risquant de déformer le caractère original des œuvres. Or, j’ai trouvé dans le Net des logiciels d’effets spécialisés (plugins audio au caractère approchant les sonorités des diffuseurs originaux. Je n’ai donc pas vraiment inventé, mais plutôt adapté les possibilités, afin de pouvoir jouer les œuvres en concert avec un petit PC dédié dans un boîtier discret, posé entre l’onde et les haut-parleurs. L’avantage est non seulement la fiabilité mais, aussi, la possibilité de profiter des progrès futurs dans ce domaine, pour améliorer la ressemblance avec les timbres d’origine.
► Martin Edenik: Vous avez joué avec de grands orchestres classiques, mais aussi avec des groupes de rock comme
Radiohead. Avec un égal plaisir?
►Claude-Samuel Levine: Le plaisir ne peut pas être «égal»… étant donné qu’il y a une infinie variété de plaisirs, tous différents (oui oui, avec clin d’œil…) mais en tout cas de même grandeur, oui. Tout se passe au gré des occasions, qu’il est impossible de prédire sans une bonne boule sur le bureau. J’ai eu aussi le grand honneur comme élève, de connaître Jeanne Loriod, l’ondiste mondialement connue (et aussi belle-sœur d’Olivier Messiaen), dont la grande simplicité et le côté bon-vivant restent un exemple.
► Martin Edenik: Avez-vous, comme ondiste, donné des concerts en solo? Et, sinon, aimeriez-vous le faire?
►Claude-Samuel Levine: L’onde Martenot se prête surtout à se lier avec d’autres sonorités, un orchestre... Pourtant, il m’arrive régulièrement – si l’occasion se présente – de jouer seul pour des soirées, présentations... Pour cela, je fabrique mes propres parties d’orchestrations – via Cubase – que je finalise ensuite en de bêtes pistes d’accompagnements, comme cela se fait actuellement. En exemple, une représentation aux Trois-Arts, à Paris:
► Martin Edenik: Et maintenant, si vous voulez bien, abordons une autre de vos passions: Que
faisons-nous sur Terre?
►Claude-Samuel Levine: Imaginons le néant total. Cette idée même est un non-sens absolu, un «truc» tellement impossible qu’il a fallu une énormité «pour compenser», du genre Big Bang par exemple... Je pense que nous contribuons à plusieurs axes qui «préoccupent» l’Univers, toujours en devenir, c’est-à-dire d’une part à ajouter toujours plus de diversité, pour s’échapper de l’uniformité, qui se rapprocherait de cet impossible. Un autre «axe» serait celui, de la part de l’Univers toujours, de «se comprendre» à travers les regards de ses habitants les plus évolués (dont nous sommes les intermédiaires) et, petit à petit, «se trouver un ami» avec qui dialoguer, jouer, parler, s’émerveiller. D’autres axes existent certainement, comme la résolution des conflits, du Bien et du Mal, en une sorte de création continue améliorée, mais heureusement aussi bien d’autres choses encore…
► Martin Edenik: Vos autres grandes passions sont la photo et la vidéo. On peut d’ailleurs voir vos œuvres en divers lieux du Web (4). Avez-vous l’intention de montrer votre travail lors d’expositions?
►Claude-Samuel Levine: Alors là, je n’y ai jamais pensé! Il y a une telle quantité de photographes excellents… Mais pour compléter un concert, pourquoi pas? Un petit «vidéoproj»dans une salle et c’est parti… En fait, initialement, je voulais gagner ma vie en composant des musiques et
jingles pour les illustrations de documentaires, d’émissions, d’habillages, de publicités, etc. Mes démarches dans ce domaine ayant été infructueuses, je profite toujours pour choisir dans mes propres morceaux pour
illustrer mes vidéos familiales, par exemple. Et puis sait-on jamais…
► Martin Edenik: Une autre de vos passions: l’informatique…
►Claude-Samuel Levine: Pour moi, c’est un outil de créativité et d’expression incroyable, dont les plus grands sorciers de tous les temps n’auraient jamais osé rêver. N’ayant pas de cursus officiel sérieux dans le domaine (autodidacte), je me contente de me monter mes propres boîtiers ultra-silencieux et de peaufiner mes installations, mais c’est toujours chouette quand (si un jour…) par exemple une dame me donne l’occasion de la dépanner et de la conseiller… en informatique. Pour commencer. Leçon 1:les branchements...
► Martin Edenik: Quelle a été votre plus grande satisfaction de musicien?
►Claude-Samuel Levine: J’ai beaucoup de mal à choisir LE ou LA chose la plus grande ou belle ou meilleure, etc. Parce que c’est toujours différent. Actuellement, c’est rejouer toutes les parties d’orchestre de la symphonie ‘‘Turangalîla’’ dans Cubase, aux synthés… Mais il y a eu les nombreux concerts avec les voyages… Mon entrée à la classe d’onde et la rencontre avec Jeanne Loriodet les Ondes Martenot, cette «baguette magique de fée», la découverte du thérémin, les espoirs de rencontres…
►Claude-Samuel Levine: Mes influences ont été en majeure partie le domaine de la musique orchestrale (le «classique») allant de Bach jusqu’à Messiaen, en passant par Debussy, Stravinsky, Ravel, mais aussi de la musique électro-acoustique comme François Bayle, Pierre Schaeffer, Risset… Mais sans oublier celles du domaine du grand public, dans lesquelles, toutefois, je me mélange un peu.
► Martin Edenik: Je me suis laissé dire que vous faisiez régulièrement le vol Terre-Lune en simulation. Légende ou réalité? Que représentent pour vous ces incursions spatiales?
►Claude-Samuel Levine: Allez, j’avoue ! J’ai (on va dire «utilisé») de nombreuses vies dans les jeux vidéos plus ou moins moraux. D’un côté comme de l’autre d’ailleurs (pour les vies…). Mais le simulateur Orbiter pousse à partager ses prouesses, comme si l’on vivait sa propre expérience d’astronaute improvisé. La vie trépidante des forums du jeu atteste de grands moments de bonheur et de passions
vraiment partagées. Mais surtout, je peux dire que d’apprendre et agir en tenant compte des lois universelles de la gravité, lors des voyages spatiaux, peut apporter beaucoup de sérénité et, même, un certain équilibre… lorsqu’on transpose par analogie avec les problèmes de la vie de tous les jours.
► Interzones : Ce qui vous démoralise le plus ? Et son contraire ?
►Claude-Samuel Levine : La solitude et l’isolement me pèsent, avec leurs conséquences, parmi lesquelles de très nombreux doutes, remises en causes et tout le tralala + le sentiment de ne
rien piger aux autres personnes, alors qu’il me semble être aussi fait de chair (et de «sens»). Au contraire, les moments de partages de rigolades, de joies, d’émerveillements, de farces, etc. avec mes amis sont la motivation première de chaque minute passée à coucher des pistes… (où à me poser dessus, et à défaut de coucher autrement...).
► Interzones : Si la NASA vous demandait, demain, de rédiger un message pour les aliens qui vivent au fin fond de la galaxie, qu’écririez-vous ?
►Claude-Samuel Levine : Et si on laissait carrément un double de la mémoire collective, sous forme d’archives avec, bien sûr, les best-off, mais aussi nos fails-off, en précisant «Travaux en cours, veuillez patienter, mais on bosse dessus, de l’aide ne serait pas de refus»…
► Interzones : Quel sera votre mot de la fin ?
►Claude-Samuel Levine : Et si le secret d’un bon équilibre intérieur était la diversité, c’est-à-dire bêtement s’intéresser à tout ce qui bouge, qui est différent, curieux, étrange, sort de l’ordinaire, mérite l’attention?
Entre les logiciels de création, l’immense variété des paysages rien qu’à étretat, la pêche, les avancées des sciences, je pense qu’il y a de quoi compenser les moments d’ordre négatif et le poids des freins très pénibles et non choisis, à plus de partages. Je dirai que mes occupations m’apportent bien plus que toutes les stériles spiritualités réunies, pour me permettre au moins de patienter.
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(1)Il a, aussi, décroché un Premier prix de solfège en 1982 et de harpe, en 1990, à l’École de musique d’Asnières.
(2) Orchestres de Cannes, Marseille, Paris, Lisbonne, Berlin, Avignon, Vérone, Madrid, Bâle, Zagreb...). A joué avec la Maîtrise Gabriel-Fauré, David Robertson...