

INTERVIEW
► Martin Edenik: Bonjour, David! Dans l’auto-interview qu’on peut lire dans votre site, vous parlez de la vision politique qui imprègne votre œuvre. Diriez-vous que, sans cette vision, vous feriez tout sauf de la création? Et que, donc, vous n’existeriez pas en tant qu’artiste? Que feriez-vous, dans cette hypothèse?
► David Myriam: Il est vrai que la révolte, le désir d’autre chose, me poussent à l’expression, à la création mais, en fait, même sans je ferais de la création, car ça fait partie de moi, c’est une manière de communiquer, de me construire. Sauf que ces créations ne seraient pas imprégnées des mêmes «messages», il s’agirait davantage de la «simple» expression d’un style personnel, sans doute qu’il n’y aurait pas la même portée.
► Martin Edenik: Certains de vos dessins pourraient, nous semble-t-il, avoir été faits par quelque Petit Prince. Leur naïveté touche en plein cœur celui ou celle qui les regarde. D’autres relèvent plutôt de l’Abstrait. Êtes-vous un Naïf ou un Abstrait? Ou bien refusez-vous ce genre d’étiquettes?
► David Myriam: Un artiste ne peut pas tellement être mis sous une étiquette réductrice, mais on a tous un style, ou plusieurs. Oui, il y a en effet un côté naïf, et aussi graphique, abstrait. C’est dû à un mélange entre une révolte spontanée et une réflexion construite, une sorte de rage concrète mêlée à l’envie de prendre de la hauteur, d’adopter des angles de vue inédits, d’exprimer avec l’abstraction graphique un côté universel qui dépasse les faits d’actualités transitoires.
► Martin Edenik: Vos courts-métrages d’animation, que vous qualifiez d’expressionnistes, représentent-ils à vos yeux une sorte d’aboutissement logique, un «objet» où vous réunissez dessins, textes et sons, comme dans ‘‘Morsures’’ ?
► David Myriam: C’est vrai qu’on pourrait dire ça. C’est le cas dans mon dernier court métrage, ‘‘Bleu Nuit’’, où la bande son comporte pour la première fois des paroles (mes autres films sont sans paroles), avec un texte poétique en voix off. Je peux trouver certains de mes dessins ou tableaux expressifs et intéressants mais, souvent, je pense qu’il y manque des dimensions. Donc, oui, j’ai plutôt envie de développer des univers symboliques, des histoires, un assemblage d’émotions en résonance. Le monde est trop complexe pour être résumé en un seul tableau. Ce qui me porte plus vers le film, la performance-spectacle
ou la BD.
ça pourrait être aussi une œuvre interactive, ou une suite de dessins à montrer groupés.
► Martin Edenik: La violence des humains vous obsède. Vous la dénoncez, la décryptez dans des textes quasiment didactiques. Ne craignez-vous pas qu’elle ne soit intrinsèquement humaine? Comment lutter contre un fléau aussi «humain»?
► David Myriam: Oui, la violence semble bien faire partie intégrante de notre être. Mais on pourrait sans doute l’utiliser autrement, la détourner vers des actions plus constructives: militantisme, rage créative, action politique... D’autre part, les actes violents effectifs sont reliés souvent à plein d’autres choses: peurs, inégalités, frustrations, traumatismes, désirs de domination et d’exploitation... Ce sont toutes sortes de problèmes collectifs et personnels qui pourraient s’atténuer, et même parfois disparaître, si on s’en préoccupait vraiment dans le cadre d’une tout autre organisation sociale.
► Martin Edenik: Vous militez contre le genre et n’hésitez pas à vous impliquer dans ce combat en parlant parfois au féminin. Lutter contre le genre, c’est favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes?
► David Myriam: Oui, les questions de genre m’intéressent. Pour plusieurs raisons. 1° Par goût personnel: je ne me reconnais pas dans les cases binaires H/F. 2° Parce que je pense que c’est une des questions essentielles pour réduire la violence et la séparation qui sévissent entre les êtres humains; on crée trop de camps avec de supposées différences qui s’affrontent (H/F, étrangers/natifs, noirs/blancs, riches/pauvres, instruits/incultes, etc.). 3° Pour l’égalité hommes/femmes en effet, mais surtout pour aller plus loin, pour que les
personnes soient libres d’être ce qu’elles sont, sans devoir se plier à des normes dont on n’a pas besoin. Ok, on est des mâles, des femelles ou des intersexes, mais nous n’avons pas besoin pour autant de rentrer dans les moules préfabriqués de L’homme et de La femme, car ce sont des fabrications sociales liées à un certain modèle social (famille hétéro, transmission de la propriété) et à une fixation exagérée sur les nécessités biologiques de la reproduction sexuée. Ce n’est pas parce qu’on a besoin d’une femelle et d’un mâle pour nous reproduire qu’on est obligé de fabriquer des modèles sociaux binaires et simplistes, où les rôles, activités, vêtements, attitudes, sexualités sont définies d’abord par le «camp» où l’on se trouve. Mieux vaut laisser «chacun.e» libre de vivre/agir comme il/elle l’entend dans ce domaine. «Chacun.e» est unique, est un mélange spécifique de «passif/actif»; ce serait beaucoup plus riche et épanouissant de favoriser ça au lieu de continuer dans la binarité réductrice réclamée ces temps-ci dans la rue par des manifestants d’idées archaïques. Avec la crispation sur le maintien de la construction sociale H/F, on est
encore dans le mythe d’une pseudo-identité obtenue par le nivellement, l’uniformisation. C’est cette vision de l’altérité qui est réductrice, uniformisatrice, tandis que la prise de distance vis à vis des genres construits apporteraient beaucoup plus d’altérité, de diversité. Une altérité simpliste et construite ou une vraie diversité des personnes?


david myriam
En attendant l’Utopie
Il dessine sur le sable. Avec des crayons à papier, à la plume et au pinceau, au feutre, au stylographe. En noir et blanc le plus
souvent, car la couleur le met mal à l’aise: «trop gaie par rapport à ce que je veux exprimer».
«Et puis, estime-t-il, le noir et blanc, me permet d’aller à l’essentiel». Créateur multimédia, David Myriam s’intéresse au dessin vectoriel et réalise des courts-métrages d’animation, participe à des opéras, festivals, concerts, et il écrit. Des textes engagés.
‘‘Your prison’’ – Peinture acrylique, noir & blanc – 50 x 70
© David Myriam
‘‘Deplacés’’ – Dessin noir & blanc – 65 x 50 (2013)
© David Myriam
‘‘Tache d’ombres’’
© David Myriam
‘‘Reproches’’ – Dessin noir & blanc – 65 x 50
© David Myriam (2013)
Dessin sur sable pour le show Rezign direct
© David Myriam (2013)
















► Martin Edenik: La cause animale vous préoccupe, et vous vous insurgez contre la violence faite aux animaux de boucherie
(Viandes et boudins festifs culturels). L’homme va devoir se faire végétarien?
► David Myriam: Oui, il est quand même incroyable qu’on continue à exploiter des animaux pour s’en nourrir alors qu’on n’en a aucunement besoin pour vivre bien, surtout dans nos pays riches. D’autant que cette exploitation, en soi problématique à cause de la transformation des bêtes en objets (assujettissement, mise à mort contre leur volonté), se double très très souvent de tortures et divers traitements dégradants, surtout dans l’élevage industriel, qui est très majoritaire. On pourrait commencer par diminuer très fortement la consommation de viandes et poissons, de produits laitiers, ce qui
permettrait déjà d’arrêter tout élevage et pêche industriels. En plus, ce serait meilleur pour la planète, et devrait donc être recommandé et mis en œuvre par les gouvernements s’ils étaient responsables, vu qu’une alimentation plus végétale nécessite beaucoup moins de ressources en terres et en énergies. Ensuite, on pourrait facilement devenir tous végétariens, puis végétaliens. Le peu d’attention portée aux animaux ordinaires (tout comme aux prisonniers, miséreux, immigrés clandestins, prostituées...) montre bien qu’on vit dans une société archaïque, barbare, refusant les analyses conscientes de ce qui se passe et les
changements en rapport.
► Martin Edenik: Faut-il, selon vous, être pessimiste devant ce qu’un Céline appelait la «saloperie
humaine»?
► David Myriam: On est malheureusement obligé d’être pessimiste quand on observe le monde tel qu’il va. En effet, il n’y a objectivement aucune chance de changements significatifs sur le plan
collectif, à court ou moyen terme. Hélas, tout va actuellement, et depuis longtemps, dans le même sens: destruction des écosystèmes, consommation, concurrence et compétition partout, maintien des classes sociales et autres séparations facteurs de conflits et d’inégalités, catastrophes climatiques actuelles et à venir, guerres, abrutissements, etc. De nos jours, surtout dans nos pays, tout
le monde est suffisamment au courant de tout ça, mais pourtant rien de significatif ne se passe... C’est vrai qu’il pourrait toujours arriver des événements imprévus, une sorte de «miracle», des prises de conscience rapides et profondes, qui aideraient à changer de direction? On ne sait pas, on ne peut pas le prédire et on ne peut pas faire grand-chose pour le favoriser. Et à plus long terme, si l’humanité survit, on peut toujours se dire que les choses pourraient changer au fond, par
lassitude?
► Martin Edenik: Vous évoquez parfois l’Utopie. Acceptez-vous de décrire la vôtre en quelques lignes?
► David Myriam: Mon idée est de réfléchir/préparer une utopie qui puisse concerner tout le monde, évitons de se créer une bulle dans son coin. Ce serait de concilier à la fois la liberté individuelle, le respect, la bienveillance, avec des buts communs et une organisation constructive se préoccupant tout autant du bien commun que de l’épanouissement individuel. Cet autre monde impliquerait de sortir des systèmes de propriété privée (pour la terre, le logement, les lieux d’activités, les outils de production), d’argent, de concurrence, de capital. Et donc de sortir du capitalisme, de tout système marchand ou totalitaire. Pour ça, il faudrait que les humains soient capables de s’autogérer sans dominations ni soumissions, de s’entendre en respectant la diversité, de converger sur les questions essentielles, de décider sans chefs, de travailler ensemble sans coercition ni carottes. Et donc,
il faudrait de gros changements de mentalités librement voulus, des prises de conscience profondes,
«s’entraîner» à vivre autrement, vouloir se connaître soi, désirer le bien d’autrui au delà de son «clan», une recherche d’émancipation dans tous les domaines, etc. Il semble qu’on en soit encore très loin, même si ces idéaux agitent certains esprits depuis des siècles.
► Martin Edenik: Quel est votre prochain grand événement?
► David Myriam: Je ne sais pas trop. J’ai plusieurs projets en cours. Une BD (60 pages en noir et blanc sans paroles),
un spectacle-conte tout public d’une heure environ, un court métrage militant sur la question de l’exploitation des animaux dans l’élevage, l’envie d’une expo de dessins...? On verra ce qui se réalisera pour de bon cette année... En attendant, mon dernier film est diffusé dans des festivals:
http://bleunuit.tramage.com/.
► Martin Edenik: Votre mot de la fin?
► David Myriam: Arrêtons d’attendre, de compter sur un grand chef providentiel, d’espérer qu’une grande catastrophe de plus nous fera réagir pour de bon. C’est maintenant qu’il faut se rassembler et agir concrètement pour commencer à vivre autrement.
– The End –