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«Les démons étaient en elle: ses yeux larges et noirs les cachaient en leurs mornes profondeurs; son visage était pâle de leur antique poison. Sa bouche était sinueuse comme un petit serpent qui passe, son front haut, obstiné, sans défaillance. Et le menton, appuyé sur la grande fraise plate, avait cette courbe molle de l'insanité ou du vice particulier.» (Valentine Penrose, ‘‘la Comtesse sanglante’’, pp. 15 et 16).
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Férencz Nadasdy, son guerrier d’époux, qu’un peuple menacé de toutes parts surnommait le Seigneur Noir.
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Son cousin et amant, le comte Gyorgy Thurzo, l’arrêtera sur l’ordre de Mathias II.

Repères chronologiques

► 1455: Gutenberg imprime, à Mayence,  la ‘‘Biblia Sacra Latina’’, dite ‘‘Bible à 42 lignes’’. L’imprimerie a tout juste neuf ans.
► 1477: Mort (mystérieuse) de Vlad IV Tepes, voïvode de Valachie et grand empaleur devant l’éternel. Vlad était le fils d’une Hongroise de la souche apparentée aux Báthory.
► 1512: Michel-Ange vient d’achever la fresque du plafond de la Chapelle Sixtine.
► 1514 : Révolte de la paysannerie hongroise contre les nobles, qui l’accablent d’impôts et exercent sur elle une impitoyable tyrannie (‘‘Histoire de la Transylvanie’’, p. 281, B. Kopeczi, Akadémiai Kiado, Budapet).
► 1526: Bataille de Mohacs. L’armée de Soliman le Magnifique écrase la noblesse hongroise.
► 1560: Naissance Erzsébet Báthory.
► 1572: Dans la nuit du 23 au 24 août commence le massacre de la Saint-Barthélemy. Mille à dix mille huguenots (selon les sources) sont assassinés rien qu’à Paris. Leurs biens feront souvent la fortune des égorgeurs. (La Saint-Barthélemy, Janine Garrison, éditions Complex.
► 1580: Première publication des ‘‘Essais’’ de Montaigne, qui juge que l’art de vivre doit se fonder sur une sagesse prudente, inspirée par le bon sens et la tolérance.
► 1614 : Mort d’Erzsébet Báthory.
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Erzsébet Báthory (prononcer «Erjébet»), naquit le 7 août 1560, dans une famille dont plusieurs membres accédèrent aux plus hautes fonctions. Son cousin Sigismond fut prince de Transylvanie; son oncle Étienne, roi de Pologne; un autre de ses cousins, Gyorgy Thurzo, deviendra le Premier ministre d’Étienne. La liste est loin d’être exhaustive: on trouve encore parmi ses proches parents des gouverneurs de provinces, des évêques, un cardinal et divers hauts magistrats. Les origines de cette illustre famille sont si anciennes qu’elles se confondent avec celles de la Hongrie.
Dans ‘‘l’Énigme des Vampires’’, l’historien et poète Jean Markale évoque les premiers Báthory, des «aventuriers hongrois descendant probablement des Huns», qui s’imposèrent par la violence dans une Hongrie encore païenne. C’est d’ailleurs dans une ambiance de paganisme que se déroula l’enfance d’Erzsébet: «Dans les Karpathes superstitieuses, écrit Jean Markale, il y avait surtout le Diable, Ordög, servi par les sorcières, elles-mêmes assistées de chiens et de chats noirs. Et tout venait encore des Esprits de la Nature et des fées des Élements[...]».


Un mal mystérieux

L’enfance d’Erzsébet, puis son adolescence, nous sont pratiquement inconnues. On sait seulement qu’elle aimait se réfugier dans une orgueilleuse solitude et que, déjà, elle souffrait de ces terribles maux durant lesquels il lui arrivait de se rouler par terre. Divers auteurs se sont interrogés à propos de l’origine de ces névralgies. Certains supposent qu’Erzsébet était épileptique, à l’instar de plusieurs Báthory: son oncle Étienne souffrit du Haut Mal. D’autres estiment qu’elle était hystérique.
Celle que Valentine Penrose a sans doute immortalisée sous le surnom de Comtesse sanglante paya peut-être une politique familiale qui favorisa pendant des générations les mariages consanguins. Car, si les Báthory étaient connus pour leur bravoure sur les champs de bataille, ils l’étaient aussi pour leur frénésie sexuelle et leurs tares, ainsi que pour leur cruauté – dans un monde pourtant peu regardant sur ce dernier chapitre... «Les débauches et les méfaits de Klara Báthory, une tante d’Erzsébet, remplissent, écrit Monika Swuine (1), trois gros volumes à la Bibliothèque Impériale de Vienne». Homosexuelle notoire, elle n’en collectionna pas moins les amants, eut quatre maris, dont deux qu’elle expédia elle-même ‘‘ad patres’’.
Durant ses jeunes années, Erzsébet apprécia particulièrement cette tante tribade (comme on disait alors des lesbiennes). Bien sûr, il est tentant d’imaginer que Klara fut pour Erzsébet davantage qu’une parente. Pour Jean Markale, ce fut elle qui la convertit au culte de Sappho:
«Il faut dire que l’homosexualité était à la mode, en cette fin de XVIe siècle: à Paris, la Cour des Valois donnait un exemple que s’empressaient de suivre les autres Cours européennes[...]. En Allemagne et dans tout le Saint-Empire, il y avait encore des héritières de cette étrange secte de tribades flagellantes qui parcouraient [...] les villes et les villages, se mettant nues en publics, se fouettant mutuellement, hurlant des chants et pratiquant des attouchements indécents.».
Le propre frère d’Erzsébet, Istvan, ne fut pas épargné lui non plus par cette lourde hérédité. Amateur d’enfants des deux sexes et, même, de vieilles femmes, «ce dépravé se rendit coupable d’innombrables viols et de brutalités si graves qu’il parvint, écrit encore (2) Monika Swuine à provoquer l’horreur de ses contemporains.»


Pour époux un guerrier

Toute tribade qu’elle fut, Erzsébet n’en aima pas moins les hommes. A peine sortie de la puberté, elle aurait même eu, d’un humble et vigoureux paysan, une fille dont elle alla accoucher loin du château familial de Csejthe, dans un manoir de la Transylvanie qui appartenait à sa mère, Anna Báthory. On paya fort cher l’accoucheuse, qui dut faire le serment de ne jamais rien révéler, puis on l’exila en Roumanie. Quant à la petite fille, à laquelle on donna le prénom d’Erzsébet, elle fut confiée à une servante, payée grassement elle aussi.
Le scandale ainsi évité, Erzsébet pouvait épouser son fiancé, le très noble comte Férencz Nadasdy. Elle partit donc avec sa mère pour Varanno, où devaient être célébrées les noces. Elle avait tout juste quinze ans, son promis vingt et un.
ErzsÉbet bÁthory

la Comtesse sanglante


Sorcière ou vampire pour certains, lesbienne sadique ou démente pour d’autres, Erzsébet Báthory aurait infligé à plus de cinq cents jeunes filles, toutes vierges, des tortures dont l’horreur stupéfia ses contemporains. Nous sommes à la fin du  XVIe siècle, dans une Hongrie où les anciens dieux se manifestent encore, tapis dans les ténèbres de l’âme humaine.
par Martin Edenik
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Quelles preuves ?


En ce début du IIIe Millénaire, de récentes recherches consacrées à la Comtesse nous rappellent qu’il convient d’être prudent. Plusieurs historiens, dont le Hongrois László Nagy (*), ont émis très tôt l’hypothèse que la Comtesse Báthory aurait pu être victime d’une conspiration. L’hypothèse est plausible et s’appuie sur un contexte politique assez trouble. D’autre part, la fortune de la Comtesse aurait pu exciter des convoitises: nombre de procès ont été montés de toutes pièces avec, pour seule raison, le vol des biens d’autrui (cf. Gilles de Ray).

Force est de reconnaître qu’il n’existe aucune preuve crédible de la culpabilité d’Erzsébet Báthory, car ceux qui l’accusèrent furent interrogés sous la torture. Que valent des aveux ainsi obtenus? D’un autre côté, le sadisme est une tare assez répandue, chez les puissants (aussi bien que chez les gens ordinaires, d’ailleurs). La Comtesse a très bien pu être un monstre, mais qu’on nous montre des preuves, de véritables preuves. En attendant que les chercheurs découvrent quelque document qui prouverait l’existence d’un complot, la légende de la Comtesse sanglante a sans doute encore de beaux jours devant elle.



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(*) C’est en 1984 que l’historien hongrois László Nagy évoque une possible conspiration contre Erzsébet Báthory. Une thèse qui ne tardera pas à être réfutée par un autre historien, György Pollak (1986).
Sur ce coffret aux armes des Báthory, qui appartenait à Erzsébet, et ce blason d’Étienne, qui fut roi de Pologne, la présence de trois dents de loup évoquent la nature prédatrice de ce clan qui serait d’origine hunique.
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Mathias, roi de Hongrie, ainsi que l’archiduc d’Autriche, envoyèrent aux jeunes mariés de somptueux cadeaux; l’empereur Maximilien de Habsbourg assista même en personne à ces épousailles qui scellaient l’alliance de deux anciennes et puissantes familles. Mais la lune de miel ne dura guère: ses devoirs de guerrier appelaient Férencz loin du château de Csejthe où, désormais, son épouse régnerait seule la plupart du temps.
Tandis que son mari se couvrait de gloire – il sera surnommé le Seigneur Noir et deviendra héros national – Erzsébet s’autorisait quelques aventures sans lendemain, dont une avec son cousin, le comte Gyorgy Thurzo. Ces infidélités ne signifient nullement que les époux ne s’entendaient pas. Tous les témoignages nous apprennent au contraire que les rares séjours de Férencz à Csejthe étaient des périodes de grand bonheur. Mais Erzsébet était jeune et très sensuelle, et Férencz trop absent.


De curieux visiteurs

Un jour de l’an 1586, alors que Férencz guerroyait contre les Serbes, arriva au château «un grand jeune homme au teint cadavérique[...]. Il était habillé de noir, avait de profonds yeux noirs, et de longs cheveux noirs tombant sur les épaules. Lorsque les servantes racontèrent, au village, qu’il avait des canines[...] anormalement longues, plus personne ne douta qu’un vampire s’était installé au château». A défaut d’être un vampire, cet étranger qui aurait effrayé si fort les habitants du village de Csejthe pourrait bien avoir été l’un de ces sorciers que fréquentait assidûment Erzsébet sans, d’ailleurs, en faire grand mystère.
C’est à cette époque que commencèrent les visites d’une mystérieuse inconnue qui, toujours, était déguisée en garçon, et dont une servante dira, lors du procès d’Erzsébet, qu’elle l’avait surprise torturant une jeune fille ligotée en compagnie de la Comtesse. Était-elle quelque châtelaine des environs venue partager incognito les jeux de la maîtresse de Csejthe ou bien, comme on l’a suggéré, une grande dame de la Cour?
Puis, en 1604, mourut Férencz Nadasdy. Devenue veuve, Erzsébet ne changea pas son mode de vie, du moins en apparence. Elle torturait depuis belle lurette ses servantes, mais n’en avait encore jamais tuées aucune. C’est à partir de la mort de son époux qu’elle aurait fait périr, dans d’atroces tourments, près de six cents jeunes filles, toutes vierges:
«Elle commença (de maltraiter les jeunes filles) quand son mari était encore en vie mais, alors, elle ne les tuait pas. Le Comte le savait et ne s’en souciait guère», dira une servante lors du procès.
Mais le sadisme n’est pas sa seule raison. Erzsébet n’a rien perdu de sa beauté, mais elle craint «des ans l’irréparable outrage». Comme beaucoup de ses contemporains (on pense à Catherine de Médicis), elle croit à la magie. Or, un jour qu’elle battait sa camériste, qui avait eu, en la coiffant, un geste maladroit, des gouttes de sang aspergèrent son poignet. Il ne faudra guère de temps à la Comtesse pour «remarquer» que là où le sang l’avait éclaboussée, sa peau était plus lisse et plus blanche: elle avait donc découvert le secret de l’éternelle jeunesse! Cette conviction, qui ne cessera plus de l’obséder, explique en partie la dérive meutrière qui va entraîner cette femme hystérique et sensuelle, cette veuve encore jeune et belle et, aussi, sexuellement frustrée. Et puis, Erzsébet vit dans un monde de magie, un monde où la préservation de sa jeunesse et de sa beauté exige du sang. Or le sang ne manque pas: il abonde dans ces corps de paysannes qui n’existent que pour la servir.



SUITE   ►►►


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(1) et (2) : Grand Encyclopédie de la Sexualité (Édilec).