► Monica Swinn : Bonjour, Monsieur et Madame Gorgô ! Pouvez-vous, pour commencer, nous parler un peu de ce nom fabuleux : Gorgô ? Est-il bien lié, comme je le suppose, à la fameuse Gorgone de la mythologie grecque ? Que représente-t-il pour vous ?
► Mr et Mme Gorgô : Bonjour, Monica ! Merci de nous prêter attention, nous qui, malgré notre âge, sommes tout nouveaux sous cette signature. C’est Bénédicte qui a trouvé notre nom d’artiste, en référence, bien sûr, à la Gorgone et au pouvoir de fascination de son regard, de même que l’on peut espérer une sorte de fascination entre l’œuvre et le regard du spectateur si elle renvoie celui-ci à son propre fonctionnement.
► Monica Swinn : Pourquoi vous êtes-vous associés sous une seule signature ? Peut-on déduire de cette fusion que vos univers respectifs — avant votre rencontre — étaient parents ?
► Mr et Mme Gorgô: Nous nous sommes rencontrés lors d’un salon où nous exposions chacun et Bénédicte, touchée par une de mes toiles, a voulu en connaître l’auteur, puis elle-même m’a invité à un salon qu’elle organisait. Les sentiments s’en sont mêlés, nous nous sommes installés ensemble, nos deux chevalets face à face. Nous nous sommes assez rapidement rendu compte que j’avais plus de facilité pour la conception, la composition, alors que Bénédicte possédait une bien meilleure technique. Nous avons alors décidé de jouer la complémentarité. Nous avons donc partagé mon imaginaire dans lequel, elle s’était d’emblée retrouvée.
► Monica Swinn : Selon certains de vos nombreux intervieweurs, votre moitié masculine œuvrerait à la structure de vos tableaux, à son squelette, tandis que la féminine y apporterait la chair. C’est ainsi que vous travaillez ?
► Mr et Mme Gorgô : Il semblerait que ce soit assez bien vu, en effet, j’amène l’idée, le premier dessin, souvent sous une forme schématique, et Bénédicte lui donne grâce et expression. Ensuite au fur et à mesure de l’avancée de l’œuvre nous discutons des couleurs et d’éventuelles modifications. Quelquefois, frustré quelque peu de ne pas manier le pinceau, il m’arrive d’intervenir directement sur le tableau, mais toujours sous le contrôle sévère de ma complice.
► Monica Swinn : Certains de vos tableaux semblent suggérer qu’ils recèlent quelque charade, comme un message caché. Une impression fausse ?
► Mr et Mme Gorgô : Non, il nous semble important de garder une part de mystère dans le tableau, afin que chacun puisse y projeter ses propres fantasmes, il
est d’ailleurs surprenant, à entendre les spectateurs, de s’apercevoir que leurs interprétations ont souvent peu à voir avec l’idée qui a amené à réaliser la toile. Mais c’est très bien ainsi, quoique nous nous reprochions quelquefois, et d’autres aussi, de provoquer des pensées malsaines chez des personnes qui, généralement, ne souhaitent pas se pencher sur leur inconscient.
► Monica Swinn : De quels artistes revendiqueriez-vous l’influence ? Auxquels va votre admiration ?
► Mr et Mme Gorgô : La peinture de la première moitié du XXe siècle, les expressionnistes allemands, certains surréalistes figuratifs et les grands anciens: Piero di Cosimo, Patinir, Antoine
Caron, Watteau, Goya.
► Monica Swinn : Travailler à deux sur un même tableau, ça va de soi ? Faut-il parfois négocier ? Comment gérez-vous d’éventuels désaccords ?
► Mr et Mme Gorgô : Les rôles étant bien partagés, les désaccords sont peu nombreux, il est convenu que c’est à moi d’avoir le dernier mot en tant que concepteur, mais quand il apparaît que Bénédicte a raison, je m’incline sans problème. Il faut dire que notre relation amoureuse facilite bien ce côté relationnel.
► Monica Swinn : Quelles qualités appréciez-vous le plus chez votre moitié féminine, Monsieur, et chez votre moitié masculine, Madame ?
► Mr et Mme Gorgô : Mme Gorgô apprécie, semble-t-il, ma capacité à donner du sens à notre travail en dépassant les conventions et, en ce qui me concerne, je suis admiratif de la manière dont elle sait rendre nos tableaux encore plus beaux que je les imagine au départ.
► Monica Swinn : Comment travaillez-vous sur un tableau? L’un après l’autre? Simultanément? Avez-vous vos petits rituels ? (fond musical, cafetière plein à ras bord?)
► Mr et Mme Gorgô : Notre méthode nous conduit bien forcément à travailler l’un après l’autre sur la même œuvre. Pendant que Bénédicte la peint, je suis déjà occupé à en composer d’autres qui ne seront pas toutes réalisées, loin de là. Le tout sur fond de musique classique et avec thé à profusion.
► Monica Swinn : Quels sont vos projets pour ces prochaines années? De nouvelles expos? Un livre d’art?
► Mr et Mme Gorgô : Des expos de groupe avec le Cercle des Artistes Havrais dont nous faisons
partie, puis sans doute une expo en Suisse à la fin de l’année. Quant au livre d’art, pour le moment nous nous contentons d’en caresser l’idée.
► Monica Swinn : Quatre choses que vous aimez? (deux chacun). Et quatre choses que vous détestez ?
► Mr et Mme Gorgô :
– Réponse de Mme Gorgô : En bonne narcissique…,j’aime et je déteste avant tout moi, et puis je déteste la vulgarité et j’aime la mer que l’on aperçoit de la fenêtre de l’atelier.
– Réponse de Mr Gorgô : J’aime le vin et les arbres. Je déteste mon âge et les idées trop arrêtées.
► Monica Swinn : Quel sera votre mot de la fin?
► Mr et Mme Gorgô : Conserver une certaine légèreté dans l’existence et dans la peinture en attendant de poursuivre dans une autre vie
peut-être.
– The End –