INTERVIEW
► Martin Edenik: Bonjour, Thuy! Comment une pianiste classique est-elle devenue
cette guerrière de la scène capable d’enflammer les foules? D’aucuns vous ont même appelée «la nouvelle fureur du rock»...
► Kim-Thuy Nguyen: La musique classique m’a énormément nourrie et inspirée à une époque de ma vie, mais m’a aussi beaucoup frustrée d’un autre côté… J’avais une prof de piano très possessive et pas du tout ouverte à d’autres genres musicaux. Je me suis rendue compte, au final, que je n’étais qu’une marionnette à qui elle dictait toutes ses intentions musicales... Jamais, les miennes n’étaient considérées!!!
Ce sentiment de frustration s’est renforcé lorsque j’ai intégré l’ITEMM (www.itemm.fr/site2/index)... Dans ma section (facteur de piano), nous n’étions que deux à avoir fait des études musicales au Conservatoire avec un très bon niveau en piano). Tous les autres étaient des autodidactes. C’est là que j’ai vraiment compris le sens de la «vraie» musique, celle qu’on joue sans avoir à réflechir à la bonne position de son dos, de ses doigts sur le clavier et, surtout, de son
petit doigt qui doit être bien droit!!!!! Mais le pire, c’est quand tu n’as pas tes fichues partitions et que le trou de mémoire te coupe dans ton élan!!! Là, t’as l’air de rien… Alors que les musiciens autodidactes et qui ne jouaient qu’à l’oreille pouvaient jouer n’importe quand sans partitions, sur n’importe quel piano sans chipoter sur la qualité du clavier ou sur le son, etc. Bref, je voulais jouer comme eux, libérée de tout mon carcan de pianiste classique! Jouer «MA MUSIQUE» et non celle des autres!
Je me suis donc intéressée à l’improvisation, au jazz pour trouver ce qui aller sortir de moi et je me suis
mise petit à petit à composer des petites choses au piano. Après avoir fini mes études d’accordeuse de piano, j’ai tout de suite été embauchée dans un magasin de pianos. Un des vendeurs, qui était batteur, m’a proposé d’intégrer le groupe dans lequel il jouait pour prendre la place de «choriste»!!! Je ne chantais pas à cette époque!!! C’était vraiment drôle qu’on me propose ça! J’ai accepté et, de fil en aiguille, j’ai pris aussi la place de «clavier». Au départ, c’était un groupe plutôt «acide jazz». C’était vraiment mauvais ce qu’on faisait!!! Puis ça a muté en «trip-hop / Jungle»…. Bref, on suivait les courants musicaux de l’époque. C’est à partir de là que je me suis mise à l’électro. J’ai appris la programmation sur des boîtes à rythme, à faire de la prod sur ordi et à comprendre petit à petit que c’était LÀ mon véritable «KIFF»! J’adorais composer, arranger, faire ma sauce musicale «seule» avec mes machines et mon ordi! Finalement, au bout de trois ans, le groupe a «splité» (ce qui fut une très bonne chose) et je me suis donc retrouvée avec tout le loisir d’explorer tout ce que je pouvais faire musicalement parlant, maintenant que j’étais «autonome». Au début, mes compos étaient très électros, mais ça a changé lorsque je me suis acheté ma première guitare électrique! À la première note jouée, ça a été la révélation: ROCK !!!!! Ce son était vivant, plus organique et c’est ce qui manquait à mon inspiration! Ça allait avec les thèmes de mes textes que je devais fouiller au plus profond de moi pour pouvoir les
assumer. N’étant pas chanteuse à la base, Je ne me voyais pas chanter des choses naïves ou sans émotion. Il fallait que ce soit presque l’interprétation d’un journal intime pour que j’assume ce rôle de chanteuse.
Et avec le bagage émotionnel que j’avais, vu l’histoire de mes parents, de ma famille, de notre statut «d’étrangers, d’immigrés», il m’était facile de trouver des thèmes profonds. Chaque fois que je composais ou écrivais, je me projetais sur scène, en train de me rouler, sauter, crier dans mon micro! Je fantasmais sur une
carrière... C’était la naissance d’INA-ICH dans mes tripes.
► Martin Edenik: Le nom de votre groupe, ‘‘Ina-Ich’’, signifierait selon Wikipedia «vacarme utile». Le choix d’un tel nom ne paraît pas anodin. Peut-on en conclure qu’il s’agissait pour vous d’une sorte de profession de foi?
► Kim-Thuy Nguyen: C’est exactement ça! J’avais envie de remuer les esprits à l’époque!
► Martin Edenik: Avec Aurélien Clair, qui est le batteur de votre groupe et, aussi, votre mari, vous avez
créé en 2010 le label iHN-iCH. Vous auriez également fait construire votre propre studio. Pour avoir la plus grande liberté de création possible?
► Kim-Thuy Nguyen: Complètement! Le travail en studio «pro» est un fantasme séduisant! Mais, dans la réalité, c’est autre chose (quand on n’a pas le portefeuille des grosses maisons de disques)! Chaque heure de location
et de prestation des techniciens coûte un bras. Quand tu arrives et que tu sais que tu n’as qu’un temps imparti pour réaliser tout ce que tu avais prévu de faire, la pression est grande et dans cet état d’esprit, il n’est jamais aisé de dégager une grande liberté musicale. L’inspiration est vite dissipée pour laisser place à l’efficacité… Lorsque nous avons monté notre label, nous savions que notre budget était très limité pour produire le nouvel album. Il fallait donc trouver le moyen d’enregistrer en contournant ce handicap. Aurélien s’est donc attelé à la tâche et à construit tout seul ce petit studio (adapté essentiellement à nos besoin). Je dois remercier au passage Yamaha – qui me soutient depuis près de quatre ans – de nous avoir fourni du très bon matériel afin de concrétiser ce projet.
► Martin Edenik: Pouvez-vous nous présenter vos musiciens? Qui sont-ils, et comment les avez-vous rencontrés?
► Kim-Thuy Nguyen: Tout d’abord, il y a Aurélien CLAIR, que vous avez cité plus haut, auditionné en octobre 2006, au tout début d’INA-ICH. Il vient de la Drôme, près de Valence. En fait, sur le premier album, tout a été joué ou programmé par moi-même. Je n’avais pas de groupe lorsque l’album est sorti en 2006 avec le label BAIDJAN. Il a donc fallu recruter des
musiciens pour conquérir la scène. Le projet a connu plusieurs «line up» depuis le début. Aurélien est le seul rescapé. En fait, six mois après l’avoir auditionné, nous sortions ensemble… Un an après, nous étions mariés! Ça a déclenché une grosse jalousie entre les musiciens qui ont très mal accepté le nouveau «statut» d’Aurélien... Bref, le guitariste et le bassiste ont donc été invités à quitter le groupe en raison de leur mauvais état d’esprit suite à cela. Il y a eu trois autres «line» depuis ce premier épisode et, aujourd’hui, l’équipe est composée de:
– Sacha DUBAS, à la basse (que notre précédent bassiste Patrick LOISEAU nous a chaudement conseillé). Ce dernier a dû quitter le groupe pour des raisons très personnelles. Il était très affecté de devoir prendre cette décision et, de notre côté, nous étions dégoûtés de perdre un super bassiste avec des qualités humaines rares… Mais heureusement que le changement n’a pas été décevant! Depuis qu’il a intégré le groupe en 2011, Sacha s’est révélé un bassiste excellent avec une personnalité tellement attachante.
– Stéphane BERTIN, à la guitare, a intégré le groupe en 2012. C’est Sacha qui nous l’a présenté. Pareil, excellent musicien avec une excellente personnalité.
► Martin Edenik: Vous chantez en français, une langue morte ou presque dans le rock... français. Pourquoi?
► Kim-Thuy Nguyen: Eh bien… C’est la langue avec laquelle je m’exprime depuis mon enfance. Je suis marquée par cette langue car j’aime en français, je m’énerve en français, je hais en français. Je ne me vois pas écrire, ni chanter dans une autre langue, même si le français est une langue très difficile à chanter. Au tout début, lorsque je commençais à me chercher musicalement, j’écrivais en anglais pour faire comme tout le monde. Mais il me manquait la sincérité et, surtout, il me manquait l’empreinte de cette langue sur moi. Ça sonnait faux... En tout cas, dans mon registre d’écriture, ça ne fonctionnait pas. Voilà pourquoi le «français».
► Martin Edenik: J’ai lu dans l’un des nombreux médias qui vous ont consacré des articles que le stéréotype de «la belle Asiate fantasmatique» vous agaçait... Vous sentez-vous «objetisée» par ce fantasme extrêmement courant en Occident?
► Kim-Thuy Nguyen : Carrément!!! Pour moi, c’est de l’ordre du racisme. Je déteste qu’on me mette dans le même sac que les autres Asiatiques. Surtout que l’Asie est constituée de plusieurs pays. De cultures tellement différentes les unes des autres... Je ne représente que moi-même et que ma propre expérience!!! Un jour, un journaliste m’a fait une réflexion sur le côté «énervé» de ma musique et de ma manière de chanter. Qu’il trouvait ça dommage que je ne respecte pas l’image de la femme asiatique «douce» et «sage»!!!! Mon Dieu, j’ai cru que j’allais lui sauter à la gorge! Mon sang n’a fait qu’un tour... C’est tout ce que je déteste!!!
► Martin Edenik: D’autres clichés vous insupportent. Vous évoquez, dans l’un de vos textes, les exilés «libres comme l’eau dans un verre». Des exilés, des immigrés victimes du mirage qui leur promettait la liberté en Occident?
► Kim-Thuy Nguyen: En réalité, c’est mon histoire. Celle de mes parents. Nous avons quitté le Vietnam en pleine guerre fratricide. Le communisme totalitaire a pris le
dessus et mon père a donc préféré voir ses enfants grandir dans un pays où la liberté d’expression n’est pas un crime. Nous sommes donc partis en France pour fuir ce régime. J’ai grandi en France avec le racisme au quotidien, avec la douleur de voir mes
parents galérer pour se défendre comme ils pouvaient contre des tas de connards intolérants... Petite, ça m’a brisée, ça m’a mis la haine. MAIS pas la haine contre les racistes! La haine contre la CONNERIE de l’être humain! Car, heureusement, que mon père m’a toujours appris à discerner les choses. Un raciste ne représente pas TOUS les Français. Et j’en voyais aussi de tous les côtés!!! Des Asiatiques racistes qui crachaient sur les «Blancs»!!! Des Arabes qui crachaient sur les «Jaunes»... J’ai vite compris qu’il fallait que je me construise seule avec ma propre vision des choses et,
surtout, ne jamais représenter personne d’autre que moi-même. «Libre comme l’eau dans un verre»... La liberté n’existe que dans l’ouverture d’esprit que nous nous fixons. Pas dans un pays, pas dans un endroit, une place...
Les Humains sont partout pareils. C’est juste l’environnement et la culture qui changent.
► Martin Edenik: Après une impressionnante série de concerts, vous abordez l’année 2013 avec deux objectifs : accueillir (je vous cite) «le petit alien qui est en vous», et préparer votre troisième album (pour cet été?)... Quel sera le prénom de ce petit alien? Et quelle sera l’ambiance de cet album?
► Kim-Thuy Nguyen: Ah ! le prénom!!! Il est tout trouvé. Mais pour l’instant, il reste à l’intérieur de moi, tout comme ma petite alien. Lorsqu’elle verra le jour (fin avril en principe), le prénom sortira aussi. Quant à l’ambiance de l’album, j’y travaille, justement. Je viens de finir ma maquette de douze titres pour le
prochain album. Je pense que ça sera moins «métal» que le premier et moins sombre que le deuxième. Sûrement un peu plus électro, mais toujours très énergique et «rock». Les thèmes sont toujours très satiriques. Il y a aussi des thèmes très très personnels, relatifs à mes propres expériences. Ça sera du INA-ICH quoi... Mais je dois vous avouer que l’époque que l’on vit ne m’inspire pas énormément... Les esprits sont embourbés dans les nouvelles technologies, par les relations et communications
virtuelles. Ça respire pas! Ça palpite pas ! C’EST CHIANT ET FROID...
► Martin Edenik: Vous considérez-vous comme une «diseuse de vérités», une imprécatrice?
► Kim-Thuy Nguyen: Ah! non! Il n’y a pas de vérité absolue! Ce que je raconte, c’est ma façon très personnelle de considérer les choses, la vie, la société, les expériences que je vis. Je n’ai jamais eu le projet de rallier les autres à ma cause, à mes opinions. Surtout pas!
► Martin Edenik: Quel sera votre mot de la fin?
► Kim-Thuy Nguyen: Merci!
– The End –