INTERVIEW
► Martin Edenik : Bonjour, Nathalie! Dans votre passionnant ‘‘éros androgyne’’, vous confiez avoir choisi «à l’orée de l’enfance les deux faces tyranniques du corps et de la pensée: le muscle et l’écriture». A quel âge avez-vous commencé à taquiner ces deux tyrans? Avez-vous des souvenirs précis, et quels exercices pratiquiez-vous? Enfin, qu’écriviez-vous?
► Nathalie Gassel: J’ai d’abord pratiqué la boxe, ensuite, les poids et haltères, pour gagner en puissance. J’ai de bons souvenirs de cette époque de mes dix-huit ans où je fréquentais les rings avec ferveur. Je faisais tractions et pompes en séries. J’étais alors la seule femme dans le club de boxe (nous étions en 1982, il ne s’agissait pas d’un sport à la mode ou reconnu pour les femmes). J’aimais la sueur du muscle, l’effort, la congestion, la détente et la rigueur des tensions musculaires. C’était très sensuel pour moi. Le soir, quand je sortais et me promenais la nuit dans les
rues, je me sentais provocatrice, je percevais ma force dans mon corps, cela me
donnait une sensation de puissance, et un appétit pour la démonstration, l’exhibition de ce plaisir sensuel. Donc, je l’ai aussi fait passer dans les mots, en l’écrivant. J’aimais les textes, la pensée et, à ce moment, j’ai aussi voulu donner à mon écriture une figure abrupte, une littérature qui soit aussi du domaine de la performance du corps. J’ai cherché un langage concis et dense, intense. Dans mes deux pratiques, je ressentais un
envoûtement du pouvoir. Depuis lors, j’ai arrêté la boxe mais je continue le culturisme.
► Martin Edenik : Toujours dans votre ‘‘éros androgyne’’, vous évoquez «l’inappropriation de la vie à vos phantasmes et à votre esthétique». L’écriture et le culturisme sont-ils pour vous une tentative pour corriger cette
inappropriation?
► Nathalie Gassel: Bien sûr! C’est une manière de créer mon propre monde, et de l’élargir. C’est une forme de conquête qui va aussi vers les lecteurs; une autre provocation, car c’était une esthétique très marginale. Je ne me reconnaissais pas du tout dans le monde tel qu’il était, surtout du point de vue du monde féminin. J’avais besoin d’exprimer ce qui me semblait alors mes différences. Une fois dites, on se rend compte que notre monde imaginaire et intérieur est plus partagé qu’il ne nous le semblait, comme si on ouvrait des portes en communiquant
librement.Comme si on rendait possible au-dehors ce qui serait, sinon, confiné au-dedans.
► Martin Edenik : Henri de Montherlant, que vous citez, estime que «ce qui est vraiment beau est toujours fort». C’est bien votre avis? D’où le culturisme?
► Nathalie Gassel: Je l’ai lu vers mes quinze ans, et il a été une révélation pour moi, tant pour le style que pour son éloge de la femme musclée, aux membres durs, aux muscles érigés. Dans ma famille, tout le monde prétendait détester cela, je me sentais isolée dans mes pulsions. Je me suis reconnue dans Henri de Montherlant, j’ai tout de suite apprécié cela, cette famille spirituelle et esthétique. Ces livres étaient importants pour mon adolescence. Ils m’offraient l’entourage émotionnel qui me manquait dans la vie réelle à cette époque.
► Martin Edenik : Outre le culturisme et la boxe anglaise, vous avez pratiqué la boxe thaïlandaise. Vous considérez-vous comme une femme dangereuse? Vous est-il arrivé de terrasser un adversaire mâle? Et avez-vous eu parfois le sentiment que certains hommes avaient peur de
votre puissance physique?
► Nathalie Gassel: J’ai toujours aimé dominer des hommes, me sentir puissante: une ivresse voluptueuse. Sentir un
homme faible par rapport à moi, cela m’excite. Certains ont peur, d’autres aiment.
► Martin Edenik : Le culturisme a-t-il représenté pour vous un moyen d’accentuer la part androgyne de votre personnalité? Vous sentiez-vous, à mesure que se développait votre puissance musculaire, moins «femelle»?
► Nathalie Gassel: Je me sentais plus Moi, plus libre, non restreinte au contenu d’une identité sexuelle. On dépasse la dualité, on devient un être sexué sans être limité à une moitié de ses potentialités. On est plein, sans frontière. On puise dans tous les registres de la séduction, librement. On casse les carcans culturels un peu niais. On s’agrandit.
► Martin Edenik : A vous lire, on a l’impression (fausse?) que le milieu des culturistes est chaud, très chaud! Tant que ça?
► Nathalie Gassel: Je crois que les athlètes sont plus proches de leur corps, de leurs sensations. Ils connaissent une
forme et une joie physique qu’ils ont envie d’extérioriser. Mais je ne voudrais pas généraliser, certains ne se retrouvent peut-être pas dans cette «sursollicitation» de la chair à exulter de ses performances?
► Martin Edenik : Avez-vous fait de la compétition comme culturiste, et comme boxeuse?
► Nathalie Gassel: J’en ai fait comme boxeuse. J’avais dix-huit ans.
► Martin Edenik : Vous avez écrit un superbe hommage à l’athlète Renée Toney. Une femme importante, pour vous?
► Nathalie Gassel: Très belle femme, et très performante! Elle ouvre des portes. Elle a aussi le courage et l’audace d’aller là où elle va. En ce sens, elle montre une voie, elle est une pionnière. Elle aurait pu être marginalisée mais, en fait, elle a beaucoup de succès et elle le mérité amplement. J’ai voulu voir en elle un symbole, celui d’une avancée de la liberté et de l’image de la femme. Un mythe, avec la fascination pour la beauté et le danger qu’elle représente en expression de puissance, de forces impératives du muscle.
► Martin Edenik : Quels sont vos projets pour ces prochaines années: de nouveaux livres? Un film?
► Nathalie Gassel: Mon prochain livre paraît l’année prochaine: ‘‘De la construction d’un corps pornographique’’. J’attends aussi des traductions. J’aimerais atteindre les pays anglo-saxons, et le Japon. Jouer me plairait
beaucoup, mon corps est présent, à travers mes livres, par les mots, son «exploitation» visuelle serait un complément important.
► Martin Edenik : Avez-vous eu une aventure inhabituelle dans laquelle votre force musculaire
aurait joué un rôle essentiel?
► Nathalie Gassel: Tous les jours, j’apprécie le regard qui se porte sur mes muscles, celui des passants ou des
spectateurs lors de mes interventions publiques, les présentations de mes livres, les dédicaces, les émissions. D’une façon plus concrète, ma force est toujours présente dans mes rapports érotiques. En ce sens, ma puissance musculaire est une aventure quotidienne avec
les autres.
► Martin Edenik : Une femme androgyne et puissante, comme vous, représente pour certains hommes le fantasme absolu. Cela vous amuse?
► Nathalie Gassel: Oui, c’est gai, c’est plus amusant et intéressant que d’incarner l’existence d’une femme faible et traditionnelle. Ici, on crée quelque chose de neuf, où l’on peut entièrement se déployer. Que, de surcroît, cela fasse de l’effet, plaît immanquablement.
► Martin Edenik : Y a-t-il une question à laquelle vous auriez aimé répondre?
► Nathalie Gassel: J’ai encore une troisième passion, sporadique, la photographie. Chaque fois que j’ai un peu de temps. Certaines de mes photos se trouvent sur mon site. J’envisage, à moyen terme, la publication d’un livre de photographies. J’aime les corps, et des objets.
– The End –