INTERVIEW
► Monica Swinn: Bonjour, Sophie! Les frères Grimm, Andersen, les contes de fée sont très présents dans votre œuvre… Votre enfance a-t-elle baigné dans cet univers ou bien l’avez-vous découvert plus tardivement? Qu’y a-t-il entre vous et les contes de fée?
► Sophie Morisse: Bonjour... Dire que mon enfance a baigné dans l’univers des contes de fée serait un peu excessif, mais on m’en lisait, bien sûr. Puis, plus tard, je les ai redécouverts, j’en ai racontés à ma fille et j’ai relu les versions originales, qui sont souvent plus sévères que les versions tronquées et édulcorées des livres pour enfants. Les contes sont devenus pour moi une trame, un fil conducteur... Pour mettre en scène mes sensations.
► Monica Swinn: L’enfance s’impose comme le thème central de votre travail de ces dernières années (du moins d’après ce que vous en montrez dans votre site). Obsession? Nostalgie? Ou autre chose?
► Sophie Morisse: Sans doute une grande part de nostalgie... La perception du temps qui passe n’est pas la même quand on est enfant, celle de notre corps et du monde qui nous entoure non
plus... J’aime évoquer çà. De plus, en regardant ma fille de dix ans, j’ai senti se réveiller l’enfant que j’étais...
► Monica Swinn: Dans la plupart de vos tableaux vos personnages regardent le
spectateur, ce regard est-il là pour nous interroger, voire nous inquiéter légèrement? C’est un regard qui, en tout cas, nous implique: quel jeu joue-t-il?
► Sophie Morisse: Oui, j’aime que mes personnages regardent le spectateur, et tant mieux s’ils l’inquiètent un peu... Les yeux ont un effet de miroir, ils interrogent. Les gens qui les croisent se demandent ce
qu’ils veulent, comme dans la vie quand on se sent observé.
► Monica Swinn: Tout n’est pas rose dans ‘‘la Mare aux sortilèges’’ (pour citer le titre d’une de vos toiles). Si je vous parle d’inquiétante étrangeté, qu’est-ce que vous me répondez?
► Sophie Morisse: Que, effectivement, ce qui nous paraît étrange nous inquiète... Mais nous intrigue également. Une situation banale n’éveille pas notre attention, mais il suffit qu’un élément insolite apparaisse, et nous serons plus attentifs... C’est une des raisons pour lesquelles je fais parfois surgir des bestioles
incongrues ou que je place le spectateur au dessus de la scène représentée... Un léger vertige peut être troublant.
► Monica Swinn: Quand vous commencez une toile, j’imagine que vous ne partez pas à l’aventure, que vous faites des esquisses, que vous avez une idée précise de ce que vous allez faire, etc. Reste-t-il une part d’improvisation dans votre travail?
► Sophie Morisse: Bien sûr que j’improvise! J’ai une idée au départ, un plan de bataille, en quelque sorte, mais une fois lancées, les choses évoluent avec leurs lots de surprises, d’accidents dont je tire parti et, à l’arrivée, le tableau est très différent de ce que j’imaginais au départ... Un peu comme lorsqu’on imagine l’enfant qu’on va mettre au monde…
► Monica Swinn: Combien de temps vous faut-il généralement pour finaliser une toile?
► Sophie Morisse: Alors là, c’est très variable. Certaines vont jaillir litéralement en un jour sans que j’aie besoin d’y retoucher! Mais d’autres vont m’user les nerfs jusqu’à ce que je les mette de côté. Je les reprends plus tard et si la situation reste bloquée, je les recouvre la mort dans l’âme...
► Monica Swinn: Vous possédez une maîtrise éblouissante de la peinture classique. Je suppose que vous vous y êtes mise très jeune et que vous étiez douée au départ. Mais, quand même! Combien d’années vous a-t-il fallu pour en arriver là?
► Sophie Morisse: J’ai toujours aimé dessiner, et j’ai fait les Beaux-Arts de Rouen dans les années 80. J’en suis sortie en 89 et, ensuite, je n’ai jamais cessé de peindre... J’ai réussi à ne faire que çà, même si ça n’a pas toujours été évident d’en vivre. Mais, quoi qu’il en soit, j’ai progressé: je suis assez têtue!
► Monica Swinn: Dans votre œuvre, on trouve de nombreuses références à des maîtres du passé. Quels sont ceux que vous admirez le plus?
► Sophie Morisse: Velasquez, Rembrandt, Vermeer... Mais, plus proches de nous, j’aime aussi Lucian Freud, Paula Rego, Philippe Garel, Gérard Diaz...
► Monica Swinn: Dans votre pratique de l’art, y a-t-il encore pour vous des défis formels ? Des recherches qui vous tenteraient?
► Sophie Morisse: Oui, j’aimerais bien faire du volume, modeler, utiliser le textile... J’en ai fait un peu, mais pas encore à un niveau qui me convienne.
► Monica Swinn: Et, pour finir, quel conseil donneriez-vous, en priorité, à un jeune artiste qui viendrait
vous consulter?
► Sophie Morisse: Ouh là là !!! La question qui vous fait prendre un coup de vieux!!! Je lui dirais de trouver son identité sans trop suivre le chant des sirènes, de faire comme Ulysse sur son navire. Trop de gens sont assurés de savoir ce qui est bon et ce qui est mauvais dans le monde de l’art, mais seul le temps apportera des réponses...
– The End –