INTERVIEW
► Martin Edenik: Bonjour, Vincent! Comment a commencé votre aventure photographique?
► Vincent Bonnefond: Bonjour, Martin! Il y a plus de vingt-cinq ans maintenant,
en parallèle de mes études de Sciences physiques, j’ai commencé à apprendre la photographie auprès de Bruno Chalifour, dans un club photo à Limoges. À l’époque, évidemment c’était en argentique. Les Maths et les Sciences physiques nourrissaient ma soif intellectuelle et j’abordais déjà la Photographie comme medium d’expression artistique, vitale pour moi.
► Martin Edenik: Vous êtes photographe mais, aussi, designer et développeur web. Vos compétences tendent à suggérer que votre univers est fortement «numérique». Est-ce le cas? Et, si oui, quel matériel utilisez-vous?
► Vincent Bonnefond: Effectivement, je suis très à l’aise avec le numérique et ses multiples possibilités. Mais ce qui m’importe avant tout est la qualité. Aussi suis-je passé au numérique sur le tard, quand celui-ci a pris le pas sur l’argentique du point de vue des possibilités offertes et de la qualité du résultat. Dans la même idée, même si mes images sont numériques, les tirages sont tous réalisés en argentique par un grand laboratoire parisien.
Mon matériel est assez basique. Après avoir longtemps utilisé un Canon 450D, je suis récemment passé au 60D: même si le matériel est important, il n’est pas essentiel pour moi. Ce n’est pas lui qui fait la photo, c’est le regard que je porte sur la scène, ce que j’en ressens, c’est moi. Le matériel, tout comme la technique, se doivent de pouvoir en servir l’expression. Du coup, même si j’en connais toutes les capacités techniques, je ne me sers jamais des modes «scènes» de mon appareil et n’utilise les automatismes que rarement: ils font généralement très bien leur travail pour faire des photos «standards», mais ils ne peuvent en rien anticiper mes choix artistiques.
► Martin Edenik: Les thématiques auxquelles vous vous êtes intéressé jusqu’à présent sont multiples: portraits, nature et paysages... Mais peu de studio.
Pourquoi?
► Vincent Bonnefond: Oui. Très peu de studio. Je n’avais pas réalisé! À vrai dire, même si je reste admiratif du travail de certains spécialistes du studio, je n’aime pas trop le rendu artificiel de cette lumière. Je suis naturellement plus attiré par le modelé de la lumière naturelle. Je dois toutefois concéder que je «triche» parfois avec elle, usant d’artifices parce qu’une seule source de lumière n’est parfois pas suffisante pour ce que je veux faire.
► Martin Edenik: Vous avez écrit à propos de votre art (citant Saint-Exupéry) «qu’on ne voit bien qu’avec son cœur». Diriez-vous que vous travaillez dans cet esprit?
► Vincent Bonnefond: C’est ce qui me porte, ma manière d’appréhender, de regarder. Cette citation de Saint-Exupéry m’a profondément marqué. D’ailleurs, je ne cherche pas à figurer, à représenter, mais à faire ressentir, à exprimer. Souvent, si l’on compare le sujet photographié et le titre que j’ai donné à la photo, il n’y a pas de rapport direct. C’est-à-dire que je ne photographie pas ce qui est, ce qui se voit avec les yeux, mais
ce que je perçois, ce que je ressens.
► Martin Edenik: Vous avez écrit, également, «sur la difficulté des portraits». Cette difficulté découle-t-elle de votre souci de photographier davantage qu’un visage, de capter l’essence d’une personne?
► Vincent Bonnefond: C’est exactement cela! La difficulté, pour moi, est multiple. Faire un portrait, c’est exprimer ce qu’est l’autre, qui il est: il devient le sujet même de la photo. Mais comment faire?!! Comment faire entrer en une image toute l’essence d’un être?! C’est tout de même frustrant de devoir en exprimer seulement une partie. En outre, je ne peux
exprimer que ce que je ressens de la personne, mais la photo de portrait ne
doit pas parler de moi, ni de mes ressentis, mais du modèle.
Ce qui va me plaire, m’attirer chez un modèle n’est pas forcément – et même rarement – ce que le modèle a envie de mettre en avant. Un exemple très simple: j’aime les rides comme une expression de Vie, ce n’est pourtant pas ce que les gens préfèrent en eux… Alors, oui, pour moi c’est un exercice des plus compliqués tant je suis en permanence tiraillé. Je me dois de «connaître» suffisamment mon modèle, de le ressentir, mais pas trop, sans quoi les choix deviennent vraiment
difficiles.
► Martin Edenik: Vous considérez que votre démarche artistique s’apparente à celle du peintre. Pouvez-vous expliciter?
► Vincent Bonnefond: Au même titre que le peintre, je me sers de la lumière pour créer mes images. Les règles de composition sont les mêmes et, tout comme eux, j’aime à les maîtriser pour mieux m’en affranchir. Mais évidemment, je me sens plus proche de certains peintres qui ne cherchent pas à représenter le réel mais une émotion, un sentiment. Ceux qui sont plus en recherche dans l’abstrait ou dans l’expression au travers de la lumière. Certains peintres obtiennent une luminosité fascinante dans leurs toiles!
► Martin Edenik: Quels photographes admirez-vous, et pour quelles raisons?
► Vincent Bonnefond: Oh la la! Il y en a tant! Tant de photographes connus ou méconnus m’inspirent! Comment choisir?!! En fait, je suis assez boulimique de
photographies. Les réseaux sociaux sont d’ailleurs pour moi une source inépuisable d’inspirations. Pour ne citer que quelques noms, je dirais: Doisneau pour l’humanisme de ses photos de rues, Ansel Adams pour la force et le traitement de
ses photos de paysages, Jean Loup Sief en particulier pour l’intensité et le graphisme de ses photos de nu, Julie de Waroquier pour l’ambiance de ses photos et leur traitement, Yvette Depaepe pour oser souvent avec
bonheur des contrastes très marqués sur des clichés splendides, Jean-Michel Berts pour ses traitements Noir & Blanc incroyables… Et tellement d’autres!!!!
► Martin Edenik: Quels sont vos projets pour les deux prochaines années?
► Vincent Bonnefond: En fait, je ne suis officiellement photographe que depuis
un peu moins de deux ans. Des projets, j’en ai plusieurs: des expositions, la participation à un livre d’art à but humanitaire, etc. Mais je préfère ne pas trop en parler tant qu’ils ne sont pas réellement finalisés. Superstition? Je ne crois pas, mais j’ai aussi appris que beaucoup de projets ne voient finalement pas le jour, malgré l’enthousiasme initial des participants. Avec un peu de chance, nous en
reparlerons bientôt…
► Martin Edenik: Y a-t-il un sujet particulier sur lequel vous aimeriez dire quelques mots?
► Vincent Bonnefond: J’aime la Vie sous toutes ses formes et la respecte au plus haut point. Certains appellent ça «écologie», je préfère le terme «respect». Alors, lorsque je peux avoir une quelconque incidence sur ce sujet, je n’hésite pas. C’est, par exemple, le but du livre humanitaire dont je parlais précédemment: permettre aux Indiens Kogis de racheter au moins une partie de leurs terres, actuellement déforestées pour cultiver la coca. De part leur philosophie de vie, les Kogis sauront favoriser la réémergence de la forêt et de son inestimable biodiversité initiale. C’est typiquement une cause qui me transporte.
► Martin Edenik: Quel sera votre mot de la fin?
► Vincent Bonnefond: Puisse le sourire d’une lumière caresser chacun de nos pas…
– The End –